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Cour administrative d'appel de Nantes
N° 03NT01082   
Inédit au recueil Lebon

2EME CHAMBRE
M. DUPUY, président
M. Philippe SIRE, rapporteur
M. ARTUS, commissaire du gouvernement
PAGE, avocat

lecture du mardi 14 mars 2006

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Texte intégral

Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour le 15 juillet 2003, présentée pour la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Bel Air Référence, dont le siège social est ..., par Me Page, avocat au barreau de Nantes ; la SARL Bel Air Référence demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 02-631 du 26 juin 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine”, l'arrêté du 7 janvier 2002 du maire de Pénestin (Morbihan) lui accordant un permis de construire un garage sur une parcelle cadastrée à la section AM sous le n° 483, sise au lieudit “Le Lienne” sur le territoire communal ;
2°) de condamner l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

…………………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ;
Vu le décret-loi du 21 février 1852, relatif à la fixation des limites de l'inscription maritime dans les fleuves et rivières affluant à la mer et sur le domaine public maritime ; (a été abrogé et inséré dans la partie réglementaire du CGPPP)
Vu le décret du 12 janvier 1856, pris en application de l'article 2 du décret-loi du 21 février 1852 portant fixation de la limite transversale de la mer sur la Vilaine ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 février 2006 :

- le rapport de M. Sire, rapporteur ;

- les observations de Me Le Coq, substituant Me Page, avocat de la SARL Bel Air Référence ;

- et les conclusions de M. Artus, commissaire du gouvernement ;



Considérant que la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Bel Air Référence interjette appel du jugement du 26 juin 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine”, l'arrêté du 7 janvier 2002 du maire de Pénestin (Morbihan) lui accordant un permis de construire un garage sur une parcelle sise au lieudit “Le Lienne” où elle est cadastrée à la section AM sous le n° 483 ;

Sur la recevabilité des conclusions d'appel de la commune de Pénestin :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : “Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4 (…)” ;

Considérant que la commune de Pénestin, qui était partie comme défendeur dans l'instance devant le Tribunal administratif de Rennes, avait qualité pour faire appel du jugement du 26 juin 2003 de ce tribunal, qui lui a été notifié le 1er juillet suivant ; qu'ainsi, les conclusions qu'elle présente dans son “mémoire d'appel”, en tant qu'“appelante incidente” en vue d'obtenir l'annulation dudit jugement et le rejet de la demande présentée par l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” devant le tribunal, doivent être regardées comme un appel, lequel, enregistré le 4 septembre 2004, soit après l'expiration du délai de deux mois prévu par les dispositions précitées de l'article R. 811-2, est tardif et, par suite, irrecevable ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Pénestin à la demande de première instance de l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” :

Considérant que les buts poursuivis par l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine”, tels qu'ils sont définis par ses statuts, tendant notamment, à sauvegarder la qualité de la vie et de l'environnement naturel sur le territoire des communes d'Asserac, Pénestin-sur-Mer, Camoël et Férel, lui conféraient un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté du 7 janvier 2002 par lequel le maire de Pénestin a accordé à la SARL Bel Air Référence le permis de construire une maison d'habitation sur la parcelle cadastrée à la section AM sous le n° 483 ; que les circonstances alléguées que l'action de cette association s'exercerait de façon quasi-exclusive par des procédures contentieuses à l'encontre de certains projets communaux et que l'action engagée contre le permis de construire contesté aurait eu, en réalité, pour but de remettre en cause l'avis favorable au projet émis par la commission départementale des sites, au sein de laquelle l'association est représentée, ne sont pas de nature à lui dénier un tel intérêt ; qu'ainsi, la demande de première instance de l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” était recevable ;

Sur la requête de la SARL Bel Air Référence :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 146-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : “Les dispositions du présent chapitre (…) déterminent les conditions d'utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres : - dans les communes littorales définies à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (…)” ; qu'aux termes dudit article 2 de la loi du 3 janvier 1986, désormais codifié à l'article L. 321-2 du code de l'environnement : “Sont considérées comme communes littorales, au sens de la présente loi, les communes (…) : - riveraines des mers et océans, (…) ; - riveraines des estuaires (…) lorsqu'elles sont situées en aval de la limite de salure des eaux et participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux. La liste de ces communes est fixée par décret en Conseil d'Etat, après consultation des conseils municipaux intéressés” ; qu'aux termes du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme : “En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage (…)” ; qu'aux termes du IV de ce même article dudit code : “Les dispositions des paragraphes (…) et III ci-dessus s'appliquent aux rives des estuaires les plus importants dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat” ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 3 janvier 1986 que la limite amont d'un estuaire est déterminée, pour l'application de ladite loi, par la limite de salure des eaux issue du décret-loi susvisé du 21 février 1852 ; que si la loi précitée ne définit pas la limite aval d'un estuaire, il y a lieu de se référer, pour la détermination de cette limite, aux décrets qui ont été pris en application de ce même décret-loi du 21 février 1852 aux fins de fixer la limite transversale de la mer et de déterminer la jonction entre les domaines publics maritime et fluvial ; que, s'agissant de l'estuaire de la Vilaine, la limite transversale de la mer a été fixée par le décret du 12 janvier 1856, également susvisé, entre les pointes de Scal et du Moustoir ; que si la requérante soutient que cette définition est désormais contestable compte-tenu de ce que “la construction du barrage d'Arzal a sensiblement modifié les conditions de fonctionnement de l'estuaire de la Vilaine”, elle n'assortit cette allégation d'aucune précision permettant de vérifier la survenance, à raison de cet ouvrage d'art, d'une modification de la situation de fait ayant présidé à la fixation de la limite litigieuse entre les deux points géographiques sus-désignés ; qu'ainsi, la délimitation fixée par ledit décret du 12 janvier 1856 doit être regardée comme déterminant valablement la limite transversale de la mer à cet endroit de l'estuaire de la Vilaine ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il est constant que le terrain d'assiette des travaux autorisés par le permis de construire contesté est situé à l'embouchure de la Vilaine, en aval de la limite transversale de la mer telle que fixée par le décret du 12 janvier 1856 ; qu'il se trouve ainsi, pour l'application des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, non le long des rives de l'estuaire de la Vilaine, mais le long du rivage de la mer ; que si, comme le soutient la société requérante, l'absence d'intervention, à la date du permis de construire contesté, du décret prévu par le IV de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme fait obstacle, sur le territoire de la commune littorale de Pénestin, à une éventuelle application des dispositions du III dudit article L. 146-4 aux rives de l'estuaire de la Vilaine, ces dernières dispositions sont, en revanche, opposables aux constructions projetées sur une bande de 100 mètres à compter du rivage de la mer ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment, des plans et cartes produits, ainsi que de photographies établissant la présence, sur la parcelle AM n° 127, de plantes halophiles et d'un procès-verbal de constat d'huissier du 7 octobre 2002 relevant un taux de salinité élevé de l'eau analysée, qu'à cet endroit, lors des plus fortes marées et par l'effet, tant de la remontée des eaux de la mer, notamment par le lit du ru de Lienne dont il n'est pas établi qu'il ne serait alimenté que par les effluents issus d'une station d'épuration située à proximité, que de l'extension desdites eaux sur les terres humides avoisinantes, la limite du rivage de la mer au sens des dispositions précitées du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, qui doit s'entendre du point jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, se situe, sur la parcelle AM n° 127, à moins de 100 mètres au sud de la parcelle AM n° 483 qui est, ainsi, dans sa totalité, incluse dans la bande littorale de 100 mètres à compter de cette limite ;

Considérant, en dernier lieu, que si la parcelle AM n° 483 est proche du bourg de Pénestin, elle en est nettement séparée par un vallon marécageux, que la commune qualifie elle-même de “zone naturelle à valoriser” ; qu'elle est située à la pointe d'un compartiment de terrains, délimité, au nord, par la route du Lienne et au sud, par la zone naturelle sus-évoquée ; que par suite, nonobstant la présence de trois constructions du côté opposé de ladite route, la parcelle servant de terrain d'assiette à la construction projetée ne peut être regardée comme appartenant à un espace urbanisé de la commune, sans que les caractéristiques de ladite construction, constituée par un garage d'une faible surface hors-oeuvre brute représentant une annexe à une habitation déjà existante, puissent avoir une influence à cet égard ; qu'il s'ensuit que le permis de construire accordé à la SARL Bel Air Référence l'a été en méconnaissance des dispositions précitées du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ;

Considérant qu'il résulte de ce tout qui précède et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée par l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine”, que la SARL Bel Air Référence n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de cette association, l'arrêté du 7 janvier 2002 du maire de Pénestin lui accordant un permis de construire un garage au lieudit “Le Lienne” ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine”, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la SARL Bel Air Référence et à la commune de Pénestin les sommes que celles-ci demandent au titre des frais exposés par chacune d'elles et non compris dans les dépens ; que ladite commune ne saurait, dès lors, davantage prétendre à un tel versement au titre desdits frais exposés par elle en première instance ; que, d'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces mêmes dispositions, de condamner la commune de Pénestin à verser à l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” la somme de 500 euros que, dans le dernier état de ses conclusions, cette association demande au titre des frais de même nature qu'elle a exposés ;



DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Bel Air Référence et les conclusions de la commune de Pénestin sont rejetées.
Article 2 : La commune de Pénestin versera à l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” une somme de 500 euros (cinq cents euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Bel Air Référence, à la commune de Pénestin (Morbihan), à l'association “Les amis du pays entre Mès et Vilaine” et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


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