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Instruction interministèrielle
concernant les droits de l’Etat sur les bâtiments et les aéronefs étrangers dans les eaux françaises

du 28 mai 1936 (A)

1. Des incidents récents ont montré que les conditions d’application des lois de police et de sûreté dans les eaux intérieures et dans les eaux territoriales françaises, ainsi que dans l’atmosphère située au-dessus de ces eaux, ont été fréquemment perdues de vue.

Il a paru nécessaire de les rappeler brièvement, afin de fixer l’attitude que doivent adopter les autorités françaises à l’égard des navires et des aéronefs étrangers qui se trouvent dans ces eaux ou dans cette atmosphère.

2. Les eaux intérieures comprennent les eaux des ports, des rades et des fleuves donnant accès à un port maritime.

Les eaux territoriales sont constituées par la zone de mer côtière qui fait suite aux eaux intérieures quand on se dirige vers la haute mer. Les règlements français actuellement en vigueur ne fixent pas à ces eux territoriales une limite unique : ils définissent seulement des zones maritimes à l’intérieur desquelles l’Etat exerce un certain nombre de droits relatifs à la pêche, aux douanes, à la sécurité nationale, etc. La limite de ces zones varie selon le droit à exercer, mais est toujours au moins distante de trois milles des côtes (1).

I. Navire étranger dans les eaux intérieures

3. Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Cette règle s’applique aux navires de commerce et de plaisance étrangers admis dans les ports français. Ces navires ne jouissent nullement des immunités reconnues aux bâtiments de guerre étrangers, immunités communément désignées sous le nom d’exterritorialité. Ils sont dès lors tenus, comme les navires français, de subir toute visite et toute opération de police que les autorités françaises jugent utile de prescrire à leur bord.

Notre droit de police, de surveillance et de contrôle est absolu, s’exerce dans nos ports selon la forme établie par les lois sur la matière et ne dépend en aucun cas de l’autorisation préalable de consuls étrangers. (Circulaire marine du 24 juin 1865)

Toutefois, lorsqu’il s’agit de la discipline intérieure du navire de commerce ou de plaisance étranger, ou de crimes ou délits n’intéressant pas des personnes étrangères au navire, les autorités françaises n’ont à intervenir que si la tranquilité du port est compromise ou si leur concours est requis par le capitaine ou le consul (2)

Commentaire perso : (il faut donc comprendre "des crimes ou des délits qui intéressent des personnes étrangères au navire pour pouvoir intervenir."

4. Plusieurs conventions consulaires apportent, d’autre part, des modifications à l’application des règles ci-dessus à l’égard de certaines puissances. On trouvera ces textes en annexe.

Ils spécifient en général que les consuls doivent être prévenus à l'avance de toute visite ou descente de justice à bord des navires marchands de leur nation, mais sans jamais pouvoir s’opposer à des opérations, ni se plaindre si, ne s’étant pas rendus à l’avertissement qui leur a été donné il était passé outre hors de leur présence. Ces restrictions ne jouent naturellement que vis-à-vis des puissances signataires desdites conventions.

5. Les exceptions à l’application des lois françaises de police et de sûreté, définies au paragraphe 3 ci-dessus, ne visent pas le cas ou la sûreté de l’Etat est en cause.

En pareil cas, rien ne s’oppose à ce que des opérations de police de tout ordre soient effectuées à bord des navires de commerce ou de plaisance étrangers se trouvant dans un port français, dans le cadre des conventions consulaires visées au paragraphe 4.

En particulier, lorsqu’il s’agit d’un cas de flagrant délit, les autorités françaises compétentes doivent effectuer sur le-champ les opérations nécessaires.

II. Navire étranger dans les eaux territoriales

6. Le navire de commerce ou de plaisance étranger se trouvant dans ces eaux peut-être soit en passage, soit en station.

Le passage consiste à naviguer dans les eaux territoriales, soit pour les traverser, soit pour gagner les eaux intérieures ou en sortir. Ce passage, qui comporte la faculté de mouiller dans la mesure où le mouillage consiste un incident ordinaire de navigation, est un droit pour le navire étranger, mais à la condition qu’il soit inoffensif, c’est-à-dire qu’il ne porte atteinte, ni à la sécurité, ni à l’ordre public, ni aux intérêts fiscaux de l’Etat.

La station est le fait, pour un navire, d’être stoppé ou mouillé dans les eaux territoriales pour des raisons autres que les incidents ordinaires de navigation.

7. En ce qui concerne sa sûreté, l’Etat français exerce sur les navires de commerce ou de plaisance étrangers, en passage ou en station dans les eaux territoriales française, les mêmes pouvoirs juridictionnels que si ces navires se trouvaient dans les eaux intérieures.

La poursuite d’un navire étranger pour infraction aux règlements et lois de l’Etat riverain, commencée alors que le navire étranger se trouve dans les eaux intérieures ou territoriales, peut-être continuée à condition que la poursuite n’ait pas été interrompue.

Le droit de poursuite cesse dès que le navire poursuivi entre dans les eaux territoriales de son pays ou d’une autre puissance.

III. Aéronef étranger survolant les eaux territoriales ou intérieures, ayant amerri dans ces eaux.

8. Les aéronefs privés étrangers et les aéronefs d’Etat étrangers non militaires affectés à un service public sont soumis, dans les eaux territoriales et intérieures françaises et dans l’atmosphère surplombant ces eaux, au même régime (3) que le territoire français.

9. Les aéronefs militaires étrangers ayant reçu du gouvernement français l’autorisation spéciale de survol, d’atterrissage ou d’amerrissage, jouissent des privilèges habituellement accordés aux bâtiments de guerre étrangers, sauf dérogations qui seraient dûment notifiées.

Les aéronefs militaires étrangers n’ayant pas reçu l’autorisation visée ci-dessus sont traités comme des aéronefs privés étrangers.

Toutefois, si des aéronefs militaires étrangers ayant reçu du gouvernement français l’autorisation spéciale de survol, d’atterrissage ou d’amerrissage enfreignent les règles concernant le survol des zones interdites et l’atterrissage ou l’amerrissage dans ces zones, ces aéronefs seront requis d’atterrir ou d’amerrir et retenus jusqu’à décision du gouvernement français.

Le ministre de l’air
Le ministre de la marine marchande
Le ministre de la marine
Le président du conseil, ministre de l’intérieur
,

 

(A) BO/M, 1936/2 p.244 ; BOR/M, p.380

(1) Les diverses puissances ne sont pas d’accord sur l’étendue qu’il convient d’attribuer aux eaux territoriales, mais elles admettent toutes que la souveraineté d’un Etat riverain s’exerce sur une zone maritime côtière s’étendant au moins à trois milles marins de ses côtes.

(2) Avis du conseil d’Etat du 20 novembre 1806

(3) Le régime est défini par la convention de Paris du 13 octobre 1919, lorsqu’il s’agit d’aéronefs de la nationalité d’une puissance ayant ratifié ladite convention.

 

Circulaire du 29 juillet 1899
portant que les navires de commerce étrangers
ne jouissent pas du privilège de l'exterritorialité

__________

(BO/G 1899, p 581) (10/92)

__________

Des doutes se sont élevés sur la question de savoir si l'arrestation d'un déserteur de l'armée de terre opérée à bord d'un navire de commerce étranger mouillé dans les eaux françaises était légale.

M. le Garde des sceaux, consulté à cet égard, a fait connaître que, d'après une règle de droit international public reconnue par la très grande majorité des nations et consacrée par la jurisprudence française, les navires de commerce étrangers ne jouissent pas du privilège de l'exterritorialité ; en conséquence, les personnes qui se trouvent à bord de ces navires sont justiciables, dans les termes d'un avis du Conseil d'Etat du 20 novembre 1806, des tribunaux du pays dans les eaux territoriales duquel ils sont mouillés (voir Bernard, "Traité de l'extradition", tome II, pages 180 et suivantes), et les autorités peuvent instrumenter sur le navire de commerce étranger et y procéder à l'arrestation des délinquants qui relèvent de leur juridiction. (Voir Cassation, arrêt du 25 février 1859.)

C'est donc cette solution qui doit être adoptée.

Afin, toutefois, d'éviter toute difficulté diplomatique, il sera indispensable de donner avis, au consul intéressé, des arrestations, visites et perquisitions faites à bord d'un navire de commerce étranger.

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Commentaire : cette jurisprudence de 1806 a été reprise en cassation en 1995 suite à un jugement de l'assassinat de 8 passagers clandestins ghanéens à bord d'un navire battant pavillon Bahamas armé d'un équipage Ukrainien pour démontrer la compétence des tribunaux français ainsi qu'en 2004 dans l'accord maritime entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste du Vietnam.

Paragraphe issue du pourvoi 95-80725 en date du 3.05.1995 de la chambre criminelle de la cour de cassation
""Attendu qu'en l'état de ces motifs et constatations, abstraction de tous autres motifs surabondants voire erronés, les juges ont donné une base légale à leur décision ;
Qu'en effet, d'une part, l'avis du Conseil d'Etat du
20 novembre 1806 ayant valeur législative attribue compétence à la juridiction française pour connaître des infractions commises à bord d'un navire battant pavillon étranger, dès lors qu'elles l'ont été dans les eaux territoriales par ou contre une personne ne faisant pas partie de l'équipage ; ""

""L'avis du Conseil d'Etat du 20 novembre 1806 ayant valeur législative donne compétence à la juridiction française pour connaître des infractions commises à bord d'un navire battant pavillon étranger, dès lors qu'elles l'ont été dans les eaux territoriales, par ou contre une personne ne faisant pas partie de l'équipage.
Si les faits commis dans les eaux territoriales sont indivisibles avec d'autres perpétrés en haute mer, ces derniers relèvent aussi de la compétence de la juridiction française.

Paragraphe issue de l'accord maritime :
En l'absence de convention, le navire est soumis à la législation, notamment pénale, de l'Etat du port1. Toutefois, les compétences pénales vis-à-vis d'actes survenant à bord d'un navire de pavillon étranger peuvent répondre à un régime spécifique. En France, la référence juridique reste ancienne. Le Conseil d'Etat, dans son avis du 20 novembre 1806 (navires Sally et Newton), considère que les infractions commises à bord d'un navire étranger, alors même que le navire se trouverait dans les eaux territoriales ou intérieures françaises, relèvent de la loi et des juridictions du pavillon. Cependant, les autorités françaises sont habilitées à intervenir dans trois cas :
- si l'infraction commise à bord du navire étranger trouble la paix publique,
- ou si la victime ou l'auteur est étrangère au bord,
- ou encore si l'aide des autorités locales est réclamée par le bord.

(1) En France, selon l'article 113-2 du code pénal, la loi pénale est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L'infraction est réputée commise sur ledit territoire dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.

 

Par le Professeur Patrick Chaumette,
Centre de Droit Maritime et Océanique, Université

Le statut du navire étranger dans un port français.

      La réticence des juges français à admettre la dimension internationale de leur compétence vis-à-vis de litiges sociaux, à bord de navires étrangers en escale dans nos ports, est due à une analyse excessive et ancienne de la portée de la loi du pavillon et de la liberté de la navigation. Historiquement, aucune exclusivité n'a été accordée à la loi du pavillon pour régler la communauté du bord, dans les eaux territoriales d'un autre État.
Une conciliation est nécessaire. Il convient de se reporter à la lumineuse démonstration du professeur Pierre BONASSIES(1). Le système dit français est fondé sur l'avis du Conseil d'État du 28 octobre 1806, approuvé par l'Empereur le 20 novembre 1806, à propos des bagarres à bord des navires Sally et Newton des États-Unis. Il définit les cas d'intervention des autorités de l'État riverain, mais considère que celles-ci se désintéressent de certaines affaires de la communauté du bord, sauf trouble de la paix du port. Les tribunaux français ne se saisissent pas des délits commis entre membres de l'équipage et des faits concernant la discipline intérieure des navires étrangers. Cet avis permet aux autorités françaises de se saisir des infractions pénales commises à bord d'un navire étranger, lorsque l'ordre public du port est troublé ou, quand le capitaine du navire réclame leur intervention, également lorsque la victime ou l'auteur de l'infraction n'est pas membre de l'équipage(2).
Cet avis est cité par la chambre criminelle de la Cour de cassation comme ayant valeur législative, à propos de l'assassinat de passagers clandestins en haute-mer et de la plainte déposée au Havre par le seul survivant(3). Il s'agit là d'un cas exceptionnel de compétence universelle du juge français. De même il peut arriver exceptionnelle que le juge pénal français dispose d'une compétence passive ou active vis-à-vis d'infractions intervenues dans une dimension internationale(4).
      Si le principe est que le navire étranger est dans un port français soumis à la loi française, l'exception est le plus souvent rappelée concernant la communauté du bord. Pourtant, les navires de commerce ou de pêche ne sont en aucun cas des navires de guerre et il est nécessaire de concilier loi du pavillon et loi de l'État côtier; les autorités de l'État riverain sont compétentes en cas de trouble à l'ordre public du port, même si la compétence de l'État du pavillon demeure; il s'agit plus d'une obligation que d'une simple faculté. Le principe de juridicité fonde la compétence du juge du port d'escale, du juge de l'État du port; il conviendra ensuite de définir la loi applicable à la relation de travail et le respect des principes fondant l'ordre public par les dispositions contractuelles(5).
      De nos jours, le contrôle du navire par l'État du port maintient la même conciliation, mais change très nettement son orientation. La loi du pavillon ne saurait disparaître, même s'il est urgent de pouvoir engager la responsabilité des États du pavillon excessivement complaisants. L'avis du Conseil d'État n'accordait aucune primauté à la loi du pavillon. Désormais, il est encore moins envisageable que la loi du pavillon prime sur le respect des conventions internationales ratifiées par l'État du port. Le contrôle des navires par l'État du port s'efforce d'assurer l'application des conventions internationales maritimes et de travail. L'effectivité d'un droit international du travail maritime nécessite l'encadrement des pratiques complaisantes, qu'il s'agisse d'accès à la justice ou, ensuite du respect des droits fondamentaux des travailleurs.

 

(1) Cass. Civ. 1ère, 18 juillet 2000, navire Obo Basak, DMF 2000-725 n. Y. TASSEL ;
(2) Faut-il abroger l'avis du Conseil d'Etat du 28 octobre 1806 ?, La mer et son droit, Mélanges L. LUCCHINI et J.P. QUÉNEUDEC, Pédone, Paris, 2003, pp. 101-109.
(3) Texte de l'avis dans le "Répertoire" de C.A. KISS, Tome IV, p. 61 ; v. Rép. Min. à QE de Cl. EVIN n°12624, JOAN 7 juillet 1979, p. 5996, affaire du Globtik Venus.
(4)Cass. Crim. 3 mai 1995, navire Mc Ruby, Bull. Crim. n° 161 ; A. de RAULIN, Passagers clandestins et pavillon de complaisance, application de la loi de 1825 sur la piraterie, Espaces et Ressources Maritimes, Pédone, Paris, 1993, p. 217 et s..
(5) Sur la compétence pénale du juge français, pour le naufrage d'un navire étranger au large du Sri-Lanka, le capitaine, les propriétaires étant français, l'armement ayant eu lieu en France, v. Gw. PROUTIERE-MAULION, Le droit pénal national peut-il participer à la police d'une relation de travail international ?, Dr. Soc. 2004-148, Trib. Corr. Saint-Nazaire, 18 mars 2003, navire Number One, DMF 2003 pp. 1068-1092


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