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Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 18 mai 2010
N° de pourvoi: 09-84504
Rejet
M. Louvel (président), président
Me Balat, Me Brouchot, avocat(s)
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt
suivant :
- X... Abdallah,
- LA SOCIÉTÉ MARPHOCEAN, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date
du 12 mai 2009, qui, pour pollution marine, a condamné le
premier à 400 000 euros d'amende, a dit que cette amende serait
supportée à concurrence de 380 000 euros par la seconde,
ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les
intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense
produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article
6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des
articles 9 et 10 de l'annexe I de la Convention internationale
pour la prévention de la pollution par les navires du 2 novembre
1973, telle que modifiée par le protocole du 17 février 1978 et
par ses modificatifs, des articles L. 218-10, L. 218-20, L. 218-21,
L. 218-24, L. 218-29 et L. 218-30 du code de l'environnement, 591
et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque
de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Abdallah X...
coupable du rejet d'hydrocarbures dans les eaux territoriales
françaises par un navire étranger et l'a condamné à 400 000
euros d'amende, a dit que le paiement de l'amende prononcée à l'encontre
d'Abdallah X... serait mis à 95 % à la charge de la société
Marphocéan qui devrait donc en supporter le paiement à la
hauteur de la somme de 380 000 euros et a condamné solidairement
Abdallah X... et la société Marphocéan à payer diverses
sommes aux associations ASPAS, France nature environnement,
Truite, ombre et saumon, Ligue pour la protection des oiseaux et
Sepanso à titre de réparations civiles ;
"aux motifs que le lieutenant de vaisseau Jean-Christophe Y...,
commandant d'un aéronef de la marine nationale, en vol de
surveillance, a, le 29 septembre 2006, constaté la présence
dans le sillage du navire Al Farabi d'une nappe s'étendant sur
18,8 kilomètres de longueur et sur une largeur de 50 mètres et
présentant une forme continue avec une proportion de surface
recouverte d'hydrocarbures à 80 % ayant l'apparence de reflets
à 20 % (catégorie 1) et d'arc-en-ciel à 80 % ;
- que ces observations visuelles de l'agent verbalisateur sont
corroborées par les photographies prises de l'avion ; que leur
examen effectué par M. Z..., personne qualifiée requise par les
enquêteurs dans les conditions prévues par l'article 77-1 du
code de procédure pénale, relève l'absence de pollution à l'avant
du navire et, en revanche le sillage du navire Al Farabi marqué
par un ruban brillant très marqué s'étalant comme celui d'un
sillage pollué par de l'hydrocarbure ;
- que la défense fait valoir, pour contester l'existence d'un
rejet d'hydrocarbures, que les affaires maritimes n'ont trouvé
aucune explication à la présence d'hydrocarbures ;
- qu'il résulte d'un rapport d'expertise établi en avril 2008
par Mahmoud A..., expert maritime mandaté par elle, que le rejet
serait constitué d'huiles végétales issues de deux bassins de
la cuisine dont le chef cuisinier a, le 29 septembre 2006, la
veille de l'arrivée au port de destination, procédé au lavage
et l'évacuation vers le circuit de dalotage communiquant avec la
sortie de bordée de la coque arrière bâbord, pendant une
durée de 30 à 40 minutes correspondant à la longueur du
sillage observé ;
- qu'elle relève également, l'absence de prélèvements et l'incohérence
entre l'apparence de la nappe relevée par le pilote et celle
retenue par l'expert Z... ;
- que le rapport du centre de sécurité des navires, en l'absence
d'utilisation du séparateur, ne porte pas sur la question
habituelle de l'avarie survenue sur cet appareil ou la cellule de
détection qui l'équipe mais sur la recherche d'une autre
possibilité d'évacuation d'eaux mazouteuses à la mer ;
- que, si ce rapport ne se prononce pas sur la nature même du
produit constitutif du rejet observé, ses propres observations
formulées sur le fonctionnement de la pompe alternative donnant
accès direct à la mer aux eaux mazouteuses avec une vanne
pourvue d'un système de bride couronne dont il demande le
remplacement avant appareillage par une bride pleine,
contrairement aux instructions écrites antérieures de l'armateur,
rendent techniquement possible le rejet d'hydrocarbures à la mer
par cette voie qui est normalement réservée aux transferts
internes d'eaux de cale vers les caisses prévues à cet effet et
ne doit servir qu'en cas d'urgence, en raison d'une voie d'eau
mettant en péril la sécurité du navire ;
- que les constatations des inspecteurs du centre de sécurité
des navires du Nord Finistère sur la grande facilité avec
laquelle le système, compte tenu des conditions d'accès au
cadenas de la vanne, de la manipulation très facile de celui-ci
et de la vanne, permettait le rejet direct à la mer d'hydrocarbures,
donnent une explication technique à la survenance du rejet
observé ;
- que les conclusions de Mahmoud A... attribuant les traces
observées dans le sillage du navire à une opération de lavage
des bassins de la cuisine dans lesquels avaient été déversés
le contenu de deux friteuses d'huile végétale brûlée, sont le
fruit d'une affirmation selon laquelle cette opération aurait
été réalisée par le cuisinier sans qu'il en ait été fait
état lors de l'enquête ;
- que seul le capitaine avait émis l'hypothèse, entre autres, d'un
tel rejet, pour expliquer le contenu du rejet observé sur les
photographies qui lui étaient présentées ;
- que le pilote comme l'expert qui a analysé les photographies
prises depuis l'avion de surveillance à la découverte du rejet
concordent pour conclure à l'existence d'un rejet d'hydrocarbures
et non d'huiles végétales ;
- que leurs observations sont notamment tirées du comportement
de la nappe par étalement, typique des hydrocarbures à la
surface de l'eau qui ne s'observe pas lors du rejet d'huiles
végétales ;
- que, si l'expert a, sur la question de l'apparence définie par
le code de Bonn, fourni une appréciation différente de celle du
pilote, son analyse s'appuie non pas sur les constatations
visuelles du pilote mais sur les clichés photographiques pris
sur les instructions de celui-ci qui varient selon les angles de
vue et qui sont chacun de nature instantanée alors que la
mémoire visuelle restitue des données s'étalant sur une
période donnée et constitue une synthèse de différentes
phases de l'observation ou des séquences d'observation ;
- qu'au demeurant, lors de son audition par la cour, M. Z... a
pondéré sa conclusion écrite en ne reprenant plus le terme de
sludges ou boues pour qualifier le produit déversé, tout en
excluant formellement qu'il puisse s'agir d'huile végétale ;
- que l'examen des photographies par la cour ne peut que
confirmer tant les observations du pilote que celles de l'expert
;
- que l'étalement de la nappe est un élément capital ainsi que
l'apparence de celle-ci apparaissant notamment sur les
photographies de détail cotées 18, 25 à 28 ;
- que l'absence de prélèvement qui s'explique
aisément par des raisons techniques liées à la situation en
haute mer et l'impossibilité matérielle de le réaliser à
partir de l'aéronef concerné est palliée par les constatations
visuelles de l'agent verbalisateur et les clichés
photographiques qui les corroborent, qui constituent un mode de
preuve reconnu et admis, s'appuyant sur les définitions
scientifiques reprises par l'accord de Bonn ;
- que l'interruption du rejet alors que l'aéronef survolait le
navire signifie, d'une part,
- que l'hypothèse d'un rejet d'huile végétale par évacuation
des bassins de la cuisine est non crédible car celle-ci est
insusceptible d'interruption brusque comme il a été observé,
la fin d'un rejet de ce type ne pouvant s'opérer que par
diminution progressive jusqu'à tarissement des eaux concernées
en raison de leur mode d'écoulement depuis les bassins de la
cuisine, d'autre part, que le survol de l'avion a entraîné un
ordre de cessation de rejet à la mer immédiatement exécuté
par le bord par une opération technique de fermeture de la pompe
alternative ;
- que, dès lors, le rejet d'hydrocarbure à la mer est
volontaire ;
- que la teneur en hydrocarbures de l'effluent ne peut, au vu des
observations visuelles corroborées par les photographies et l'analyse
qui en a été faite, qu'être très largement supérieure au
seuil de 15 ppm autorisé par la Convention Marpol ;
- qu'aucune cause exonératoire n'est invoquée par le capitaine
aux fins de savoir si son comportement remplissait les conditions
lui permettant de bénéficier de l'application de la règle 11
de l'annexe I de la Convention de Londres excluant l'application
des règles 9 et 10 de la même Convention ; (ancienne annexe
1)
- que le capitaine ne peut soutenir qu'il n'a pas personnellement
commis l'infraction, alors qu'il est pénalement responsable de
tout rejet d'hydrocarbures provenant de son navire réalisé en
infraction aux dispositions des règles de la Convention
précitée ;
- que l'application des dispositions de l'article L. 218-22 du
code de l'environnement suppose que la pollution résulte d'un
accident de mer tel que défini par la Convention de Bruxelles du
29 novembre 1969 dont l'existence n'est ni prouvée ni même
alléguée en l'espèce ; (ancien article L218-22)
"1) alors que la preuve de l'existence d'une pollution
maritime par le rejet d'hydrocarbures incombe à la partie
poursuivante, en particulier sur la nature du rejet incriminé ;
- qu'en se bornant, pour affirmer l'existence d'un rejet d'hydrocarbures,
à relever que « l'examen des photographies par la cour ne peut
que confirmer tant les observations du pilote que celles de l'expert
», tout en relevant cependant que « l'expert a, sur la question
de l'apparence définie par le code de Bonn, fourni une
appréciation différente de celle du pilote», la cour d'appel n'a
pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;
"2) alors que les constatations visuelles des agents se
référant à la Convention Marpol et aux Accords de Bonn, si
elles se révèlent contradictoires, doivent être corroborées
par des éléments objectifs au sens du recueil des preuves issu
de la signature desdits textes ;
- qu'en affirmant l'existence d'un rejet d'hydrocarbures sur le
fondement des avis différents exprimés par le pilote et l'expert,
sans relever aucun autre élément objectif susceptible d'établir
incontestablement l'existence d'un rejet d'hydrocarbures, la cour
d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3) alors qu'en écartant le rapport d'expertise établi par
Mahmoud A..., au seul motif que la conclusion à laquelle
parvenait cet expert, à savoir un rejet d'huiles végétales, n'avait
pas été évoquée lors de l'enquête, la cour d'appel s'est
déterminée par une motivation inopérante ;
"4) alors qu'en exigeant finalement du prévenu qu'il
rapporte la preuve de ce que les traces litigeuses provenaient d'un
rejet d'huiles végétales, cependant que la nature de ce rejet
devait être prouvée positivement et de manière irréfutable
par la partie poursuivante, la cour d'appel a inversé la charge
de la preuve et n'a donc pas légalement justifié sa décision ;
"5) alors qu'en indiquant que « la teneur en hydrocarbures
de l'effluent ne peut, au vu des observations visuelles
corroborées par les photographies et l'analyse qui en a été
faite, qu'être très largement supérieure au seuil de 15 ppm
autorisé par la Convention Marpol », la cour d'appel a statué
par voie de pure affirmation, privant par conséquent sa
décision de motifs" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la
Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a,
sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs
péremptoires des conclusions dont elle était saisie et
caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel,
le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi
justifié l'allocation, au profit des parties civiles, de l'indemnité
propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question
l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et
circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve
contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 3 000 euros la somme globale qu'Abdallah X... devra payer
à l'association France nature environnement, à l'association
Truite, ombre et saumon, à la Ligue pour la protection des
oiseaux et à l'association Fédération des sociétés pour l'étude,
la protection et l'aménagement de la nature dans le sud-ouest,
au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre
criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que
dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la
formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure
pénale : M. Louvel président, M. Le Corroller conseiller
rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le
président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes , du 12
mai 2009