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REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
Arrêt n°2239 du 14 novembre 2019 (18-82.324)
Cour de cassation -
Chambre criminelle
ECLI:FR:CCASS:2019:CR02239
SAISIE- SUBSTANCE VÉNÉNEUSE
Rejet
Demandeur(s) : M. A... X... ; et autres
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces
de procédure ce qui suit.
2. Les quatre demandeurs constituaient l’équipage du
voilier [...], battant pavillon britannique de Gibraltar. Les
autorités françaises, suspectant un transport de stupéfiants,
ont demandé aux autorités britanniques, Etat du pavillon,
conformément à l’article 17 de la Convention des Nations-Unies
contre le trafic des stupéfiants et des substances psychotropes,
conclue à Vienne, le 20 décembre 1988, de se dessaisir de leur
compétence juridictionnelle relative aux infractions de trafic
de stupéfiants pouvant être constatées à bord de ce navire.
Les autorités britanniques, conformément à l’article 17
précité, ont autorisé les autorités françaises à
arraisonner le navire [...] dans les eaux internationales, et à
le visiter, indiquant qu’elles abandonneraient leur
compétence juridictionnelle au profit des autorités françaises
dans le cas où des stupéfiants seraient découverts à bord.
3. Le 27 juillet 2017, le voilier [...] a été arraisonné et
visité en haute-mer, au large des îles Tonga, par l’équipage
de la frégate [...], de la Marine nationale. Une quantité de 1
438 kg de cocaïne pure a été découverte à bord du voilier.
Une enquête judiciaire a alors été ouverte. Le voilier a été
dérouté vers Nouméa et les membres de son équipage ont fait l’objet
d’une mesure de privation de liberté prolongée par le juge
des libertés et de la détention, jusqu’à leur arrivée à
Nouméa. Ils ont été traduits devant le tribunal correctionnel
de Nouméa devant lequel ils ont contesté la régularité de la
procédure. Par jugement du 17 novembre 2017, le tribunal
correctionnel a rejeté les exceptions de nullité et reconnu les
prévenus coupables. Les demandeurs ont relevé appel de cette
décision, ainsi que le ministère public.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen est pris de la violation des articles 5 § 2 et 5 §
33 de la Convention européenne des droits de l’homme, 4 et
16 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994, L. 1521-16 du
code de la défense, préliminaire, 41-5, 591 et 593 du code de
procédure pénale.
5. Le moyen critique l’arrêt attaqué : “en ce
que la cour d’appel a rejeté les exceptions de nullité et
déclaré les prévenus coupables des faits qui leur étaient
reprochés” : “1°) alors qu’il résulte des
articles 4 et 16 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 que
les commandants de navire peuvent procéder à la recherche des
auteurs d’actes de piraterie et d’infractions en
matière de trafic de stupéfiants lorsqu’ils y sont
spécialement habilités ; qu’en constatant que M. Y...,
capitaine de frégate, ne disposait pas de cette habilitation
spéciale, tout en jugeant régulière la fouille qui a suivi l’arraisonnement
du navire, aux motifs erronés que cette mesure a eu lieu sur le
fondement de l’article 14 de la loi, aucune infraction n’étant
constatée à ce stade, lorsqu’il résulte des mentions
mêmes de la décision que l’exercice des pouvoirs de police
en mer dans la lutte contre le trafic de stupéfiants est régi
par les dispositions de l’article 16 de ce texte et que le
haut commissaire de la Nouvelle-Calédonie a signé un certain
nombre d’habilitations spéciales pour rechercher et
constater les infractions en matière de piraterie et de trafic
de stupéfiants, la cour d’appel a méconnu le sens et la
portée de ce texte ;
“2°) alors qu’en application de l’article 16 de
la loi du 15 juillet 1994, sauf extrême urgence, il ne peut
être procédé à des perquisitions et à la saisie des produits
stupéfiants qu’avec l’autorisation du procureur de la
République ; qu’a violé ce texte la cour d’appel
qui a jugé que l’autorisation du procureur n’était
pas nécessaire dès lors que les mesures de fouille sont
intervenues sur le fondement de l’article 14 de la loi,
lorsque l’exercice des pouvoirs de police en mer dans la
lutte contre le trafic de stupéfiants est régi par les
dispositions de l’article 16 de la loi du 15 juillet 1994 ;
“3°) alors que toute personne arrêtée doit être
informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle
comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation
portée contre elle ; qu’en jugeant qu’il était
matériellement impossible à la marine nationale de traduire ces
ordonnances, la cour d’appel a méconnu le droit à la
sûreté garanti par l’article 5 de la Convention
européenne des droits de l’homme ;
“4°) alors que la décision du procureur relative à la
destruction des scellés doit être motivée, notifiée par tous
moyens aux personnes ayant des droits sur le bien si celles-ci
sont connues et aux personnes mises en cause et mentionner les
voies de recours ; qu’en relevant, pour rejeter le
moyen de nullité tiré de l’absence de notification de
cette décision, que le non-respect de la notification ne peut
causer un préjudice que lorsque le bien saisi et détruit est
susceptible d’être restitué, la cour d’appel, qui a
ajouté une condition au texte, a méconnu le sens et la portée
de l’article 41-5 du code de procédure pénale”.
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
6. Les prévenus ont soutenu que la procédure était
nulle, le voilier [...] ayant été arraisonné et fouillé par
le commandant du navire [...], qui ne disposait pas d’une
habilitation spéciale à cette fin.
7. Pour rejeter cette exception, la cour d’appel indique qu’en
vertu de l’autorisation de l’Etat du pavillon, l’équipage
de la frégate de la Marine nationale [...] a pu valablement
arraisonner et visiter, dans les eaux internationales, au large
des îles Tonga, le voilier [...]. L’arrêt retient que ces
mesures ont été accomplies selon les modalités prévues par l’article
14 de la loi n°94-589 du 15 juillet 1994, qui dispose que,
lorsqu’il visite un navire avec l’accord de l’Etat
du pavillon, le commandant d’un bâtiment de la Marine
nationale peut faire procéder à la saisie des stupéfiants
découverts à bord du bâtiment visité, des objets et des
documents qui paraissent liés à un trafic de stupéfiants, les
faire placer sous scellés en présence d’un membre de l’équipage
du navire visité, et ordonner le déroutement de celui-ci, ce
texte ne nécessitant pas une information préalable du procureur
de la République, ni une habilitation particulière du
commandant du navire. L’arrêt ajoute qu’en vertu de l’article
L. 1521-11 du code de la défense, les membres de l’équipage
du voilier ont pu être interpellés et privés de liberté au
cours de cette visite. Les juges du second degré énoncent que
ces mesures conservatoires ont été régulièrement accomplies,
au regard des textes précités, applicables en l’espèce,
et qu’elles précédaient l’ouverture d’une
enquête pénale, laquelle, conformément à l’autorisation
de l’Etat du pavillon, ne pouvait intervenir qu’après
la découverte de la drogue.
8. L’arrêt relève que, dès la saisie de la cargaison,
composée de 1 438 kg de cocaïne pure, les dispositions de l’article
16 de la loi précitée du 15 juillet 1994 ont reçu application,
le procureur de la République à Nouméa ayant immédiatement
été informé de la découverte des stupéfiants et des mesures
de coercition mises en œuvre, ce qui l’a conduit à
ordonner l’ouverture d’une enquête de flagrant délit,
confiée au Groupement Interministériel de Recherches et à la
gendarmerie de Nouméa, qui a été aussitôt mise en oeuvre par
les enquêteurs présents sur la frégate [...].
9. En prononçant ainsi, la cour d’appel a justifié sa
décision pour les motifs suivants :
10. D’une part, le commandant était
habilité, en raison de ses seules fonctions, comme tous les
commandants des bâtiments de l’Etat, et sans qu’il
fût besoin d’une habilitation spéciale, par application
des articles 13 et 14 de la loi n°94–589 du 15 juillet 1994
modifiée, à arraisonner et faire procéder à la visite et à
la fouille du voilier, ainsi qu’à la saisie des produits
stupéfiants.
11. D’autre part, dès l‘information
donnée au procureur de la République, les actes de police
judiciaire ont été accomplis par des officiers habilités du
navire et les officiers de police judiciaire présents.
12. Les griefs ne peuvent donc être admis.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
13. Les prévenus ont soulevé la nullité, faute de notification dans une langue qu’ils
comprenaient, des ordonnances du juge des libertés et de
la détention ayant prolongé, en application de l’article L.
1521-14 du code de la défense, les mesures de privation de
liberté prises à leur encontre, jusqu’à l’arrivée,
à Nouméa, de la frégate [...] à bord de laquelle ils étaient
retenus.
14. Pour écarter cette exception, la cour d’appel énonce
que la notification de ces ordonnances n’est
pas prescrite à peine de nullité, laquelle ne peut être
prononcée que si la personne qui l’invoque démontre que l’irrégularité
lui a fait grief. L’arrêt ajoute qu’il était
matériellement impossible, pour la Marine nationale, de faire
traduire ces ordonnances dans la langue des prévenus. Il relève
que les droits des prévenus n’ont pas été méconnus
pendant leur privation de liberté à bord du [...], dès lors qu’ils
ont été examinés par un médecin dont ils ont reçu la visite
quotidienne, qu’ils ont communiqué avec des membres de l’équipage,
que le juge des libertés et de la détention, qui a reçu les
certificats médicaux établissant leur aptitude à la mesure de
privation de liberté, a prolongé celle-ci par des ordonnances
régulièrement transmises, les prévenus n’ayant formulé
aucune observation sur le cahier de rétention à leur
disposition, et qu’aucun grief ne résulte pour eux de l’absence
de notification de ces ordonnances, insusceptibles de recours.
15. En statuant ainsi, dès lors que l’existence et la
régularité des ordonnances en cause ne sont pas contestées, et
que les demandeurs ne soutiennent pas qu’ils ignoraient les
raisons de leur arrestation et de leur retenue à bord du [...],
la cour d’appel a justifié sa décision.
16. Ainsi, le grief n’est pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa dernière branche
17. Les prévenus n’invoquent aucun grief tiré de
l’absence de notification de la décision par laquelle le
procureur de la République, sur le fondement de l’article
41-5 du code de procédure pénale, a
ordonné la destruction des scellés.
18. Il suit de là que le moyen ne peut être accueilli.
19. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.
Président : M. Soulard
Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu
Avocat général : Mme Moracchini
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau