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ARRÊT DE LA COUR
30 septembre 2003

«Libre circulation des travailleurs - Article 39, paragraphe 4, CE - Emplois dans l'administration publique - Capitaines de navires de pêche - Attribution de prérogatives de puissance publique à bord - Emplois réservés aux ressortissants de l'État du pavillon»

Dans l'affaire C-47/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Albert An ker,
Klaas R as,
Albertus Snoek
et
Bundesrepublik Deutschlan d, représentée par la Wasser- und Schiffahrtsdirektion Nord,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 39, paragraphe 4, CE,

LA COUR,

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet (rapporteur), R. Schintgen et C. W. A. Timmermans, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, A. La Pergola, P. Jann et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues et A. Rosas, juges,

avocat général: Mme C. Stix-Hackl,

greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:
- pour les demandeurs au principal, par Me P. Slabschi, Rechtsanwalt,
- pour la défenderesse au principal et le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing et M. Lumma, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement danois, par MM. J. Molde et J. Bering Liisberg, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme C. Bergeot-Nunes, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. D. Martin et H. Kreppel, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales des demandeurs au principal, représentés par Me P. Slabschi, de la défenderesse au principal, représentée par Mme B. Karsten, Regierungsrätin, du gouvernement allemand, représenté par M. Lumma, du gouvernement français, représenté par M. G. de Bergues et Mme C. Bergeot-Nunes, et de la Commission, représentée par Mme I. Martínez del Peral, en qualité d'agent, et M. H. Kreppel, à l'audience du 21 janvier 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 juin 2003,

rend le présent

A r r ê t

1. Par ordonnance du 31 janvier 2002, parvenue à la Cour le 19 février suivant, le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 39, paragraphe 4, CE.

2.
Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant MM. Anker, Ras et Snoek, de nationalité néerlandaise, à la Wasser- und Schiffahrtdirektion Nord (direction de la navigation et des transports maritimes du Nord) à propos de l'accès à des emplois de capitaine de navire de pêche battant pavillon allemand.

Le cadre juridique

Les dispositions communautaires

3.
Aux termes de l'article 39 CE:

«1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté.

2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique:

a) de répondre à des emplois effectivement offerts,

b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,

c) de séjourner dans un des États membres afin d'y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux,

d) de demeurer, dans des conditions qui feront l'objet de règlements d'application établis par la Commission, sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi.

4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique.»

Les dispositions internationales

4.
La convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, contient, dans sa partie VII, intitulée «Haute mer», section I, intitulée «Dispositions générales», qui regroupe les articles 86 à 115, des dispositions générales relatives à la navigation en haute mer.
5.
Les articles 91, paragraphe 1, 92, paragraphe 1, 94, paragraphes 1 à 3, et 97, paragraphes 1 et 2, de cette convention disposent notamment:

«Article 91
Nationalité des navires

1. Chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu'ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l'État dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l'État et le navire.

[.]

Article 92
Condition juridique des navires

1. Les navires naviguent sous le pavillon d'un seul État et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention, à sa juridiction exclusive en haute mer. [.]

[.]

Article 94
Obligations de l'État du pavillon

1. Tout État exerce effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon.

2. En particulier tout État:

[.]

b) Exerce sa juridiction, conformément à son droit interne, sur tout navire battant son pavillon ainsi que sur le capitaine, les officiers et l'équipage pour les questions d'ordre administratif, technique et social concernant le navire.

3. Tout État prend à l'égard des navires battant son pavillon les mesures nécessaires pour assurer la sécurité en mer, [.]

[.]

Article 97
Juridiction pénale en matière d'abordage ou en ce qui concerne tout autre incident de navigation maritime

1. En cas d'abordage ou de tout autre incident de navigation maritime en haute mer qui engage la responsabilité pénale ou disciplinaire du capitaine ou de tout autre membre du personnel du navire, il ne peut être intenté de poursuites pénales ou disciplinaires que devant les autorités judiciaires ou administratives soit de l'État du pavillon, soit de l'État dont l'intéressé a la nationalité.

2. En matière disciplinaire, l'État qui a délivré un brevet de commandement ou un certificat de capacité ou permis est seul compétent pour prononcer [.] le retrait de ces titres, même si le titulaire n'a pas la nationalité de cet État.

[...]»

Les dispositions nationales

6.
L'article 2, paragraphe 2, de la Schiffsbesetzungsverordnung (règlement relatif aux équipages des navires), du 26 août 1998 (BGBl. I, p. 2577), modifiée par la Verordnung du 29 octobre 2001 (BGBl. I, p. 2785), dispose:

«Indépendamment de la jauge brute, le capitaine doit être ressortissant allemand au sens du Grundgesetz [loi fondamentale] et titulaire d'un certificat d'aptitude allemand.»

7.
La formation des officiers de navires ainsi que la délivrance de certificats d'aptitude professionnelle sont régies par la Schiffsoffizier- Ausbildungsverordnung (règlement sur la formation des officiers des navires), du 11 février 1985 (BGBl. I, p. 323), modifiée en dernier lieu par la Verordnung du 29 octobre 2001, précitée (ci-après la «SchOffzAusbV»).
8.
Les certificats d'aptitude obtenus, dans un autre État membre ou dans un État membre de l'Espace économique européen, par les ressortissants de l'un de ces États sont reconnus comme équivalents aux certificats allemands en vertu de l'article 21 bis, paragraphe 1, de la SchOffzAusbV, si les conditions prévues par la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), ou par la directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48 (JO L 209, p. 25), sont remplies. En particulier, s'il s'agit d'une activité de commandement, l'article 21 bis, paragraphe 2, de la SchOffzAusbV exige la preuve que l'intéressé s'est soumis avec succès à l'épreuve d'aptitude prévue à l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/48 ou à l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 92/51. En vertu de l'article 21 quater de la SchOffzAusbV, la Wasser- und Schiffahrtdirektion Nord délivre, sur demande, une attestation de validité des qualifications reconnues comme équivalentes conformément à l'article 21 bis, paragraphe 1, de la SchOffzAusbV.
9.
Toutefois, le titre reconnu comme équivalent, conformément à l'article 21 bis de la SchOffzAusbV, ne donne pas aux personnes ne possédant pas la nationalité allemande au sens du Grundgesetz le droit de commander des navires battant pavillon allemand. En effet, aux termes de l'article 24 de la SchOffzAusbV:

«La délivrance d'attestations de compétence à des personnes qui ne sont pas ressortissants allemands au sens du Grundgesetz, mais qui satisfont aux conditions pour l'obtention d'une attestation de compétence (article 7) peut être autorisée. Dans ce cas, l'attestation de compétence pour le service nautique ne comprend pas l'autorisation de direction de navire sous pavillon allemand. Cette indication doit être portée sur l'attestation de compétence [.]»

10.
Par ailleurs, aux termes de l'article 106 du Seemannsgesetz (loi relative aux gens de la mer), du 26 juillet 1957 (BGBl. II, p. 713), plusieurs fois modifié (ci-après le «SeemG»):

«(1) Le capitaine est le supérieur de tous les membres de l'équipage (article 3) et des autres personnes travaillant à bord (article 7). Il dispose de l'autorité suprême.

(2) Le capitaine doit veiller au maintien de l'ordre et de la sécurité à bord et a le droit de prendre des mesures nécessaires à cette fin dans le cadre des dispositions qui suivent et de la législation en vigueur.

(3) En cas de danger direct pour les personnes ou pour le navire, le capitaine peut faire appliquer les ordres donnés pour écarter ce danger, au besoin par les moyens de coercition nécessaires; l'arrestation provisoire est licite. Les droits fondamentaux visés aux articles 2, paragraphe 2, phrases 1 et 2, et 13, paragraphes 1 et 2, du Grundgesetz peuvent être restreints. Si plusieurs moyens sont envisagés, on retiendra, dans toute la mesure du possible, celui qui porte le moins préjudice aux intéressés.

(4) La contrainte physique et l'arrestation provisoire ne sont licites que si d'autres moyens paraissent d'emblée insuffisants ou se sont avérés tels. Ces mesures ne s'appliquent que tant que et dans la mesure où l'exige l'accomplissement des tâches du capitaine visées aux paragraphes 2 et 3.

(5) S'il n'est pas en mesure de les exercer lui-même, le capitaine peut déléguer les pouvoirs visés aux paragraphes 1 à 4 au second ou au premier officier mécanicien dans le cadre de leurs fonctions. [.]

[.]»

11.
En vertu de l'article 115 du SeemG, le non-respect des ordres donnés par le capitaine est passible de sanctions pénales lorsque de tels ordres doivent servir à lutter contre les dangers menaçant des personnes, des navires ou leur cargaison, à éviter des préjudices disproportionnés, à empêcher des perturbations importantes pour le fonctionnement du navire, à respecter les dispositions de sécurité maritime de droit public et à maintenir l'ordre et la sécurité à bord. L'abus de ce pouvoir est lui-même passible de sanctions pénales, conformément à l'article 117, lu en combinaison avec l'article 115, paragraphe 4, du SeemG.
12.
Plusieurs dispositions de droit allemand confèrent aux capitaines des navires battant pavillon allemand des fonctions relatives à l'état civil.
13.
Ainsi, en vertu de l'article 45, paragraphe 1, de la Verordnung zur Ausführung des Personenstandsgesetzes (règlement d'application de la loi sur l'état des personnes), du 12 août 1957, (BGBl. I, p. 1139), modifiée en dernier lieu par la Verordnung du 17 décembre 2001 (BGBl. I, p. 3752, ci-après la «PersStdGAV»), la naissance ou le décès d'une personne au cours d'un voyage sur un navire allemand doivent être authentifiés par un officier d'état civil du registre de l'état civil de Berlin I. En application du paragraphe 2 du même article, la naissance ou le décès doivent être notifiés au capitaine le lendemain de l'événement au plus tard. Si la personne tenue de faire la déclaration met fin à son voyage avant l'expiration de ce délai, cette notification doit avoir lieu alors que cette personne se trouve encore sur le navire en cause. Selon le paragraphe 3 dudit article, le capitaine établit un procès-verbal de déclaration de naissance ou de décès qu'il doit ensuite transmettre au premier bureau des inscriptions maritimes auprès duquel il lui est possible de le faire.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14.
Les demandeurs au principal sont employés comme marins à bord de navires de pêche battant pavillon allemand pratiquant la petite pêche hauturière. Ils sont titulaires d'un «diploma voor Zeevisvaart SW V» (diplôme néerlandais de navigation pour les navires de pêche), qui, en vertu du droit néerlandais, donne le droit de commander des navires de la catégorie de ceux sur lesquels ils travaillent actuellement.
15.
Le 30 septembre 1998, la Wasser- und Schiffahrtdirektion Nord a délivré à M. Ras l'autorisation d'exercer les fonctions de second ou de premier officier mécanicien sur des navires de pêche battant pavillon allemand. Par lettre du 30 octobre 1998, M. Ras a sollicité, sur le fondement de l'article 21 quater de la SchOffzAusbV, une attestation d'aptitude plus large l'autorisant à exercer également les fonctions de capitaine de navire de pêche battant pavillon allemand. La Wasser- und Schiffahrtdirektion Nord a rejeté cette demande, qu'elle a analysée comme une opposition, par décision du 14 décembre 1998.
16.
Par ailleurs, les demandes similaires adressées, le 16 mars 1999, par MM. Anker et Snoek aux fins d'obtenir l'autorisation d'exercer les fonctions de capitaine, de second ou de premier officier mécanicien sur des navires de pêche battant pavillon allemand ont également été rejetées par la Wasser- und Schiffahrtdirektion Nord par décisions du 30 juillet 1999 pour autant qu'elles concernaient les fonctions de capitaine. Les oppositions formées par MM. Anker et Snoek contre ces décisions ont été rejetées par décision du 6 septembre 1999.
17.
La Wasser- und Schifahrtdirektion Nord s'est, en particulier, fondée sur l'article 106, paragraphes 2 et 3, du SeemG et sur l'article 24, deuxième phrase, de la SchOffzAusbV.
18.
Les recours formés contre les décisions de rejet de la Wasser- und Schiffahrtdirektion Nord ont été rejetés, pour les mêmes motifs, par jugements du Verwaltungsgericht (tribunal administratif) du 14 novembre 2000. Cette juridiction a estimé que l'activité du capitaine de navire comportait des prérogatives de puissance publique au sens de l'article 39, paragraphe 4, CE.
19.
Par décision du 30 juillet 2001 du Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht, les demandeurs au principal ont été admis à interjeter appel des jugements du Verwaltungsgericht.
20.
Devant l'Oberverwaltungsgericht, les demandeurs au principal ont contesté l'application, à leur égard, de l'article 39, paragraphe 4, CE, lequel, en tant qu'exception, serait d'interprétation stricte. Cette disposition ne s'appliquerait que lorsque l'emploi concerné présuppose une solidarité spécifique de son titulaire à l'égard de l'État, qui devrait être garantie par le lien de la nationalité. Un tel lien n'existerait que si l'emploi comporte de manière caractéristique l'exercice de prérogatives de puissance publique et si le titulaire se voit confier la responsabilité de l'intérêt général de l'État. Ces conditions seraient cumulatives. Or, elles ne seraient pas remplies dans le chef d'un capitaine de navire de pêche. Même s'il existait des cas dans lesquels des capitaines auraient fait usage de prérogatives de puissance publique, celles-ci revêtiraient une importance à ce point secondaire qu'elles ne pourraient en aucun cas constituer le c.ur de leur activité.
21.
Au demeurant, alors même qu'il n'existe aucune restriction liée à la nationalité dans le domaine du transport aérien, l'article 3 de la Luftverkehrs-Ordnung (règlement relatif aux transports aériens), du 10 août 1963 (BGBl. I, p. 652), modifiée à plusieurs reprises, accorderait des responsabilités et des compétences étendues aux commandants de bord d'aéronef, qui iraient même au-delà de celles des capitaines de navire.
22.
Selon la défenderesse au principal, les compétences reconnues au capitaine par l'article 106 du SeemG relèvent de l'administration publique et constituent l'expression du «genuine link» instauré par l'État du pavillon entre le navire et l'État. Elle se réfère, à cet égard, à l'article 94 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
23.
Les compétences de puissance publique du capitaine ne découleraient pas de principes généraux de droit privé. Le capitaine ne veillerait pas seulement à garantir à bord l'ordre et la sécurité pour ses besoins propres, mais agirait pour la défense d'intérêts juridiquement protégés, le cas échéant en mettant de côté ses propres intérêts.
24.
La défenderesse au principal invoque également les fonctions exercées par le capitaine en qualité d'officier d'état civil en cas de naissance ou de décès à bord, telles que prévues par l'article 45, paragraphe 3, de la PersStdGAV.
25.
L'Oberverwaltungsgericht doute que l'article 24, deuxième phrase, de la SchOffzAusbV soit compatible avec l'article 39 CE, particulièrement s'agissant de navires pratiquant la petite pêche hauturière.
26.
Il relève que, aux termes de la jurisprudence de la Cour, un emploi relevant de l'administration publique suppose, de la part de son titulaire, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'État membre que le lien de nationalité tente précisément de garantir (arrêt du 17 décembre 1980, Commission/Belgique, 149/79, Rec. p. 3881). Or, selon lui, tel ne serait pas le cas des activités relevant des domaines de transports maritimes et aériens, qui seraient très éloignées des activités spécifiques de l'administration publique et n'impliqueraient aucune participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques.
27.
Toutefois, l'Oberverwaltungsgericht estime qu'un doute subsiste quant à la question de savoir si les compétences octroyées par l'article 106 du SeemG sont d'une nature telle qu'elles impliquent de manière générale l'exercice de prérogatives de puissance publique ou si, au contraire, elles découlent essentiellement des obligations générales découlant tantôt du droit civil - le capitaine étant le représentant à bord de l'armateur pour le compte duquel il exerce les droits tirés des contrats d'engagements de marins -, tantôt du droit pénal - le capitaine ayant une position de garant en présence d'une situation dangereuse.
28.
Il observe que, en tout état de cause, l'article 106 du SeemG recouvre une partie très modeste de l'activité d'un capitaine. L'activité principale de celui-ci résiderait dans la direction du navire, ainsi que dans la gestion de l'équipage. Il exercerait à cette occasion des fonctions régies par le droit civil et le droit du travail qui incombent habituellement aux chefs d'entreprise ou aux directeurs d'usine.
29.
C'est dans ces conditions que le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les dispositions du droit national qui exigent la nationalité de l'État du pavillon - en l'espèce la nationalité allemande - pour exercer l'activité professionnelle de patron (capitaine) d'un navire engagé dans la petite navigation maritime'(Kleine Seeschifffahrt') sous le pavillon dudit État membre sont-elles compatibles avec l'article 39 CE?»

Sur la question préjudicielle

30.
Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 39, paragraphe 4, CE doit être interprété en ce sens qu'il autorise un État membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine de navires battant son pavillon affectés à la «petite navigation maritime» («Kleine Seeschifffahrt»).

Observations soumises à la Cour

31.
Les demandeurs au principal considèrent qu'il y a lieu de répondre par la négative à la question préjudicielle.
32.
À titre liminaire, ils soulignent que MM. Anker et Snoek possèdent la qualité de travailleurs au sens de l'article 39 CE. Si cette qualité peut être discutée en ce qui concerne M. Ras, qui est associé minoritaire de la Zeevisserijbedrijf RAS BV, actionnaire unique de la Seefischereibetrieb SC-25 GmbH, laquelle exploite le navire de pêche sur lequel M. Ras navigue, ce dernier, à défaut d'être considéré comme travailleur salarié, pourrait être considéré comme travailleur indépendant. Dans ce cas, il y aurait lieu de faire application de l'article 43 CE et de se demander si l'activité de capitaine d'un navire tel que celui sur lequel il navigue peut valablement être couverte par la disposition dérogatoire de l'article 45, premier alinéa, CE. À cet égard, les demandeurs au principal soutiennent que, eu égard à son libellé, la notion d'«autorité publique», au sens de l'article 45, premier alinéa, CE, est plus restreinte que celle d'«administration publique», au sens de l'article 39, paragraphe 4, CE.
33.
Selon les demandeurs au principal, l'activité de capitaine d'un navire de pêche ne relève pas de l'article 39, paragraphe 4, CE. La notion communautaire d'administration publique devrait, selon la jurisprudence de la Cour, être interprétée restrictivement en tant qu'exception à un principe fondamental de droit communautaire et être limitée à ce qui est absolument nécessaire pour garantir les intérêts que l'article 39, paragraphe 4, CE autorise les États membres à protéger (voir, notamment, arrêt du 16 juin 1987, Commission/Italie, 225/85, Rec. p. 2625, point 7). Elle devrait être entendue dans un sens fonctionnel: ce qui importerait, c'est que l'activité soit associée de manière caractéristique à des prérogatives de puissance publique; dans le même temps, le titulaire de l'emploi devrait être investi de la responsabilité pour la sauvegarde des intérêts généraux de l'État (voir arrêt Commission/Belgique, précité, point 12).
34.
Les demandeurs au principal ajoutent qu'il n'est pas suffisant que le titulaire de l'emploi exerce occasionnellement des prérogatives de puissance publique: l'exercice de ces prérogatives devrait constituer l'essentiel de l'activité (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, Rec. p. 2121, points 26 à 28, et du 27 novembre 1991, Bleis, C-4/91, Rec. p. I-5627, point 7).
35.
En l'occurrence, les dispositions nationales allemandes ne conféreraient aucune prérogative de puissance publique au capitaine. Les pouvoirs que ce dernier tire de l'article 106 du SeemG constitueraient l'expression d'obligations générales de droit civil et de droit pénal, adaptées à la situation d'un navire en mer. De plus, les situations dans lesquelles le navire fait face à des situations dangereuses auraient considérablement diminué du fait, notamment, de la modernisation des moyens de communication et de la diminution du temps passé en mer, limité aux jours ouvrables, s'agissant des petits navires de pêche, lesquels, de surcroît, pêcheraient toujours à proximité des côtes.
36.
Le c.ur des fonctions du capitaine consisterait dans la conduite du navire et dans la gestion de l'équipage. Il s'agirait là de fonctions relevant du droit civil et du droit du travail, qui sont habituellement celles des chefs d'entreprise ou des directeurs d'usine. De plus, le capitaine serait lui-même occupé en grande partie par la capture et la transformation du poisson.
37.
Enfin, les demandeurs au principal font valoir que, aux points 34 et 35 de son arrêt du 2 juillet 1996, Commission/Grèce (C-290/94, Rec. p. I-3285), la Cour a jugé que les secteurs des transports maritimes et aériens ne relèvent pas des domaines dans lesquels s'exerce une activité spécifique à l'administration. Cela signifierait que ces secteurs relèvent a priori de la liberté de circulation des travailleurs et qu'il appartient aux autorités nationales d'établir, pour des emplois déterminés, que, en réalité, les conditions de l'article 39, paragraphe 4, CE sont remplies [voir points 110 à 112 des conclusions de l'avocat général Léger dans l'affaire Commission/Luxembourg (arrêt du 2 juillet 1996, C-473/93, Rec. p. I-3207)]. Or, la défenderesse au principal n'en aurait pas apporté la démonstration s'agissant de l'emploi de capitaine de navire de pêche.
38.
Les gouvernements allemand, danois et français, ainsi que la Commission, s'accordent pour considérer que les emplois de apitaine des navires battant pavillon d'un État membre affectés à la petite navigation maritime peuvent, conformément à l'article 39, paragraphe 4, CE, être réservés aux ressortissants de cet État dans la mesure où leurs titulaires, conformément à la législation nationale dudit État et à plusieurs instruments internationaux, telle la convention des Nations unies sur le qu'interprdroit de la mer, sont susceptibles d'exercer des fonctions relevant de l'«administration publique» au sens de cette disposition, telle étée par la Cour, et relatives au maintien de la sécurité et à l'exercice de pouvoirs de police ainsi qu'à l'établissement d'actes d'état civil.
39.
Selon le gouvernement allemand, le fait que, dans la pratique normale de la pêche maritime, il n'y a pas toujours matière à exercer des prérogatives de puissance publique ne signifie pas que les mesures que le capitaine serait habilité à prendre le cas échéant n'ont pas un tel caractère. En outre, un navire pratiquant la petite pêche hauturière n'est, en principe, pas soumis à des restrictions de navigation, de sorte qu'il n'est pas exclu qu'il puisse exercer ses activités en dehors des eaux territoriales de l'État du pavillon ou des environs immédiats des côtes de cet État.
40.
Le gouvernement danois considère que, si l'emploi de capitaine de navire implique l'exercice à bord de prérogatives de puissance publique qui reviennent, sur la terre ferme, aux autorités de police, notamment celles de retenir des suspects en garde à vue et de prendre des dépositions, il y a une participation directe de sa part à l'exercice de la puissance publique. Le maintien de l'ordre et de la sécurité constituerait le type de fonctions dont l'exercice suppose, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'État, couvert par l'article 39, paragraphe 4, CE.
41.
Le fait qu'il soit question, dans l'affaire au principal, de navires de petite taille n'entraîne, selon le gouvernement danois, aucune restriction au droit de l'État membre de réserver les emplois de capitaine sur les navires battant son pavillon à ses ressortissants. En effet, les situations dans lesquelles l'exercice de prérogatives de puissance publique par les capitaines de navire peut se révéler nécessaire pourraient se produire sur n'importe quel type de navire et à tout moment.
42.
Ce gouvernement ajoute que la circonstance que l'État membre concerné n'ait pas fait usage de la possibilité de réserver à ses propres ressortissants des emplois comparables dans le domaine du transport aérien est sans pertinence, l'article 39, paragraphe 4, CE ne conférant aux États membres qu'une simple faculté de réserver les emplois qu'il vise.
43.
Selon le gouvernement français, les capitaines de navire exercent, à l'évidence, des fonctions relevant de l'exercice de l'autorité publique, fonctions qui ne sauraient être confondues avec les obligations qui incombent à tout citoyen, à tout chef d'entreprise ou directeur d'usine, ou encore à tout commandant de bord d'aéronef. Il en serait ainsi même si l'emploi est exercé au sein d'entreprises privées, dès lors que les activités spécifiques de l'administration publique sont exercées, par délégation, pour le compte de l'État et non de l'employeur.
44.
Le gouvernement français se réfère, par analogie, à certaines dispositions du code civil français et du code disciplinaire et pénal de la marine marchande français qui confient au capitaine tantôt des fonctions d'«officier d'état civil», tantôt de véritables pouvoirs de police qui le font participer au service public de la justice. Il observe que ces prérogatives vont bien au-delà de celles conférées par l'article 73 du code de procédure pénale français à toute personne en cas de crime ou de délit flagrant. En effet, il résulterait de cette dernière disposition que, si toute personne a qualité pour appréhender l'auteur d'un crime ou d'un délit flagrant, elle doit le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche, à qui seul appartiennent les pouvoirs d'arrestation et de placement en garde à vue.
45.
Le gouvernement français conteste également l'assimilation des prérogatives des capitaines de navire aux obligations qui incombent aux chefs d'entreprise et aux directeurs d'usine de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé de leurs travailleurs. Ainsi, à la différence du capitaine d'un navire, un chef d'entreprise ne détient pas le pouvoir de procéder à l'arrestation d'un de ses employés ni de le consigner dans un lieu donné, puisqu'il est en mesure de faire appel à l'autorité publique.
46.
De même, selon le gouvernement français, les pouvoirs conférés aux commandants de bord d'aéronef ne sauraient être comparés aux prérogatives des capitaines de navire, un commandant de bord d'aéronef disposant de pouvoirs comparables à ceux de tout citoyen face à une menace.
47.
Enfin, le gouvernement français considère que la circonstance que les capitaines de navire n'exercent que rarement leurs pouvoirs d'autorité publique est sans conséquence sur l'inclusion de leur emploi dans le champ d'application de l'article 39, paragraphe 4, CE. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, cette dernière disposition ne s'appliquerait qu'aux seuls «emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques» (arrêt Commission/Belgique, précité, point 10). Ainsi, le seul fait que l'emploi «comporte» des attributions de puissance publique serait suffisant pour qu'il relève de l'article 39, paragraphe 4, CE. De surcroît, chaque fois que les circonstances l'exigent, l'exercice des attributions de puissance publique serait une nécessité concrète et ne saurait être confié à un autre membre d'équipage, sauf à priver le apitaine d'une grande part de son autorité.
48.
À titre subsidiaire, le gouvernement français estime qu'un État membre est en droit de réserver les emplois de capitaine à ses propres ressortissants sur le fondement de l'article 39, paragraphe 3, CE. En effet, par leur participation à l'exercice de l'autorité publique, ces emplois relèveraient des exceptions à la libre circulation des travailleurs liées à l'ordre public ou à la sécurité publique.
49.
La Commission souligne, tout d'abord, qu'il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si tous les demandeurs au principal satisfont aux conditions nécessaires pour être considérés comme des travailleurs au sens de l'article 39 CE.
50.
Elle relève, ensuite, qu'un navire battant le pavillon d'un État membre est certes considéré comme faisant partie du territoire de cet État, mais que, une fois qu'il s'est éloigné des côtes, ledit État n'est normalement pas en mesure d'intervenir avec ses propres organes de puissance publique pour sauvegarder ses intérêts généraux ou ceux de la collectivité publique. Aussi l'État du pavillon confère-t-il au capitaine le pouvoir d'exercer, en tant que représentant de la puissance publique, diverses fonctions visant à sauvegarder lesdits intérêts généraux, prévues par la législation nationale ou les instruments internationaux. Dans ces conditions, l'article 39, paragraphe 4, CE pourrait valablement être invoqué.
51.
L'arrêt du 31 mai 2001, Commission/Italie (C-283/99, Rec. p. I-4363, point 25), qui concernait des gardiens privés assermentés, ne serait pas de nature à remettre en cause cette analyse, dès lors que des prérogatives de puissance publique sont précisément conférées aux capitaines de navire pour sauvegarder les intérêts généraux de l'État.
52.
Toutefois, un particulier exercerait un emploi dans l'administration publique, au sens de l'article 39, paragraphe 4, CE, uniquement si les organes de puissance publique qui relèvent institutionnellement de l'administration publique n'ont pas la possibilité d'intervenir ou ne peuvent le faire que difficilement. Le seul octroi de compétences d'autorité publique ne suffirait donc pas pour que l'article 39, paragraphe 4, CE puisse être invoqué. Il faudrait, de surcroît, qu'aucun organe de puissance publique ne puisse intervenir pour résoudre un éventuel conflit.
53.
En outre, selon la Commission, la question de savoir si les compétences attribuées dépassent celles qui incombent, en vertu du droit civil et du droit pénal, à tout propriétaire, à tout employeur ou à tout citoyen devrait être appréciée au regard du droit national et être tranchée par la juridiction de renvoi. Dans l'hypothèse où il serait établi que ces compétences relèvent de la puissance publique, la Commission considère que le recours à la dérogation prévue à l'article 39, paragraphe 4, CE ne saurait, de surcroît, dépendre du degré de probabilité des situations dans lesquelles le capitaine du navire en cause doit effectivement exercer ces compétences d'autorité publique, ni de la taille de ce navire.
54.
Enfin, la comparaison effectuée avec ce qui existe dans le domaine de la navigation aérienne serait sans pertinence, l'article 39, paragraphe 4, CE se bornant à laisser aux États membres la faculté de restreindre la libre circulation des travailleurs.
55.
S'agissant, par ailleurs, de l'applicabilité de l'article 39, paragraphe 3, CE, la Commission estime que cette disposition est applicable uniquement à des individus dont le comportement personnel met en danger l'ordre public ou la sécurité publique. Aussi, il n'y aurait pas lieu de l'invoquer pour exclure de l'application du principe de la libre circulation des personnes toute une profession au motif que ses membres seraient chargés de garantir l'ordre public ou la sécurité à bord (voir, en ce sens, arrêt du 29 octobre 1998, Commission/Espagne, C-114/97, Rec. p. I-6717, point 42).

Réponse de la Cour

56.
Il convient de rappeler, à titre liminaire, que l'article 39, paragraphes 1 à 3, CE consacre le principe de la libre circulation des travailleurs et l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres. L'article 39, paragraphe 4, CE prévoit toutefois que les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique.
57.
Selon la jurisprudence de la Cour, la notion d'administration publique au sens de l'article 39, paragraphe 4, CE doit recevoir une interprétation et une application uniformes dans l'ensemble de la Communauté et ne saurait dès lors être laissée à la totale discrétion des États membres (voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152/73, Rec. p. 153, point 5, et Commission/Belgique, précité, points 12 et 18).
58.
Elle concerne les emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques, et supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'État ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité (arrêts précités Commission/Belgique, point 10, et Commission/Grèce, point 2).
59.
En revanche, l'exception prévue à l'article 39, paragraphe 4, CE ne s'applique pas à des emplois qui, tout en relevant de l'État ou d'autres organismes de droit public, n'impliquent cependant aucun concours à des tâches relevant de l'administration publique proprement dite (arrêts précités Commission/Belgique, point 11, et Commission/Grèce, point 2), ni, a fortiori, à des emplois au service d'un particulier ou d'une personne morale de droit privé, quelles que soient les tâches qui incombent à l'employé (arrêts précités Commission/Espagne, point 33, et du 31 mai 2001, Commission/Italie, point 25).
60.
Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, en tant que dérogation à la règle fondamentale de la libre circulation et de la non-discrimination des travailleurs communautaires, l'article 39, paragraphe 4, CE doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que cette disposition permet aux États membres de protéger (voir, notamment, arrêt du 16 juin 1987, Commission/Italie, précité, point 7).
61.
En l'occurrence, il y a lieu de constater que le droit allemand confère aux capitaines des navires de pêche battant pavillon allemand des prérogatives liées au maintien de la sécurité et à l'exercice de pouvoirs de police, notamment en cas de danger à bord, assorties, le cas échéant, de pouvoirs d'enquête, de coercition ou de sanction, allant au-delà de la simple contribution au maintien de la sécurité publique à laquelle tout individu peut être tenu. En outre, certaines fonctions auxiliaires en matière d'état civil, qui ne sauraient s'expliquer par les seules nécessités du commandement du navire, sont conférées au capitaine, en particulier celle de recevoir notification de la naissance ou du décès d'une personne au cours d'un voyage, même s'il incombe à un officier d'état civil, sur terre, de délivrer les actes authentiques. Si certains doutes peuvent subsister, à propos de ces fonctions en matière d'état civil, quant au point de savoir si elles impliquent une participation directe ou indirecte à la puissance publique, doute qu'il incombe à la juridiction de renvoi de dissiper, il est certain, en revanche, que les fonctions liées au maintien de la sécurité et à l'exercice de pouvoirs de police constituent une participation à l'exercice de prérogatives de puissance publique aux fins de la sauvegarde des intérêts généraux de l'État du pavillon.
62.
La circonstance que les capitaines sont employés par une personne physique ou morale de droit privé n'est pas, en tant que telle, de nature à écarter l'applicabilité de l'article 39, paragraphe 4, CE dès lors qu'il est établi que, pour l'accomplissement des missions publiques qui leur sont dévolues, les capitaines agissent en qualité de représentants de la puissance publique, au service des intérêts généraux de l'État du pavillon.
63.
Toutefois, le recours à la dérogation à la libre circulation des travailleurs, prévue à l'article 39, paragraphe 4, CE, ne saurait être justifié du seul fait que des prérogatives de puissance publique sont attribuées par le droit national aux titulaires des emplois en cause. Encore faut-il que ces prérogatives soient effectivement exercées de façon habituelle par lesdits titulaires et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités. En effet, ainsi qu'il a été rappelé au point 60 du présent arrêt, la portée de cette dérogation doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts généraux de l'État membre concerné, laquelle ne saurait être mise en péril si des prérogatives de puissance publique n'étaient exercées que de façon sporadique, voire exceptionnelle, par des ressortissants d'autres États membres.
64.
Or, il ressort des indications de la juridiction de renvoi que les emplois de capitaine de navires pratiquant la petite pêche hauturière, qui consistent pour l'essentiel à diriger des bateaux de petite taille, comportant un équipage réduit, et à participer directement à la pêche et à la transformation des produits de la pêche, constituent des emplois dans lesquels la fonction de représentation de l'État du pavillon occupe, en pratique, une place insignifiante.
65.
Par ailleurs, ainsi que l'a observé à juste titre Mme l'avocat général au point 68 de ses conclusions, la convention des Nations unies sur le droit de la mer n'exige pas que le capitaine d'un navire possède la nationalité de l'État du pavillon.
66.
Il convient encore d'examiner si la condition de nationalité à laquelle serait subordonné l'accès aux catégories d'emplois en cause pourrait être justifiée sur le fondement de l'article 39, paragraphe 3, CE.
67.
Il suffit, à cet égard, de rappeler que la faculté pour les États membres de limiter la libre circulation des personnes pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique n'a pas pour objet de mettre des secteurs économiques, tel celui de la pêche, ou des professions, telle celle de capitaine de navires de pêche, à l'abri de l'application de ce principe, du point de vue de l'accès à l'emploi, mais vise à permettre aux États membres de refuser l'accès ou le séjour sur leur territoire à des personnes dont l'accès ou le séjour sur ces territoires constituerait, en tant que tel, un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique (voir, en ce qui concerne la santé publique, arrêt du 7 mai 1986, Gül, 131/85, Rec. p. 1573, point 17, et, en ce qui concerne la sécurité privée, arrêt Commission/Espagne, précité, point 42).
68.
Par conséquent, une exclusion générale de l'accès aux emplois de capitaine de navires de pêche ne saurait être justifiée par les raisons visées à l'article 39, paragraphe 3, CE.

 

69.
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l'article 39, paragraphe 4, CE doit être interprété en ce sens qu'il n'autorise un État membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine des navires battant son pavillon affectés à la «petite navigation maritime» («Kleine Seeschifffahrt») qu'à la condition que les prérogatives de puissance publique attribuées aux capitaines de ces navires soient effectivement exercées de façon habituelle et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités.

Sur les dépens

70.
Les frais exposés par les gouvernements allemand, danois et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht, par ordonnance du 31 janvier 2002, dit pour droit:

L'article 39, paragraphe 4, CE doit être interprété en ce sens qu'il n'autorise un État membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine des navires battant son pavillon affectés à la «petite navigation maritime» («Kleine Seeschiffahrt») qu'à la condition que les prérogatives de puissance publique attribuées aux capitaines de ces navires soient effectivement exercées de façon habituelle et ne présentent pas une part très réduite de leurs activités.

 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 septembre 2003.

Le greffier Le président

R. Grass G. C. Rodríguez Iglesias


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