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Deux arrêts de la cours européenne (l'arrêt du 30.09.2003 concernant une navigation de commerce et un arrêt du même jour concernant une navigation à la pêche) vont dans le sens du présent arrêt du 23 juin 2004 de la cour de cassation française qui a cassé et annulé l’arrêt du 13 juin 2003 de la cour d’appel de Poitiers rejetant le pourvoi de X.... ELIAN, après avoir rendu un arrêt le 4 juin 2003 rejetant le pourvoi de X.... ELIAN et rendu régulier de ce fait l'arrêt du 3 mai 2002 de la cour d'appel de Poitiers.
Depuis par ce nouvel arrêt en se déterminant ainsi,
la cour estime que le sens et la portée du texte conventionnel est le suivant : "L'article 39, paragraphe 4, CE doit être interprété en ce sens qu'il n'autorise un État membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine des navires battant son pavillon affectés à la «petite navigation maritime» qu'à la condition que les prérogatives de puissance publique attribuées aux capitaines de ces navires soient effectivement exercées de façon habituelle et ne présentent pas une part très réduite de leurs activités."

N° de pourvoi : 03-85661
Publié au bulletin


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois juin deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par:

- X... Elian,

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 13 juin 2003, qui, pour navigation sans présence à bord d'un capitaine et d'un second de nationalité française, l'a condamné à 3 000 euros d'amende dont 1 500 euros avec sursis ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3, alinéa 2, du Code du travail maritime, 69 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, 177, 48 du Traité instituant la Communauté européenne (article 39 de la version consolidée du Traité), 1er du règlement 1612/68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Elian X... coupable d'avoir fait naviguer un navire battant pavillon français, navire de plus de 100 tonneaux, sans présence à bord d'un second de nationalité française et l'a condamné à une amende de 3 000 euros dont 1 500 euros avec sursis ;

 

"aux motifs que les faits eux-mêmes, à savoir la présence d'un seul officier français, Guy Y..., à bord d'un navire de pêche de plus de 100 tonneaux, ne sont pas contesté, Elian X... arguant de ce que l'article 3 du Code du travail maritime, sur lequel sont fondées les poursuites, contreviendrait à l'article 48 du Traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Communauté économique européenne, et au règlement CEE du 15 octobre 1968, textes prévoyant la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, et aujourd'hui, de l'Union, ainsi qu'à la Charte des droits fondamentaux de l'Union du 7 décembre 2000 ; l'article 48 du Traité, en effet, implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, mais prévoit, en son paragraphe 4, une dérogation quant "aux emplois dans l'administration publique" ; comme l'a d'ailleurs relevé le premier juge, et comme la Cour a déjà essayé de l'expliquer à Elian X... dans une autre affaire concernant aussi "Le Père Yvon", cette notion d'emploi dans l'administration publique s'entend, aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, d'emplois qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ; les officiers de marine marchande détiennent, de façon générale, des prérogatives de puissance publique, puisque certains pouvoirs leur sont reconnus en matière d'état civil, acte de naissance, actes de décès, mariages, ainsi qu'en matière de réception de testaments ; ils sont même chargés d'appliquer la législation française du travail à leurs bords ; Elian X... soutient que ses navires sont de petits bâtiments de pêche, qui ne s'éloignent jamais de plus de vingt-quatre heures des côtes, que, dans ces conditions, l'hypothèse selon laquelle un de ses seconds, de nationalité espagnole, pourrait être amené à exercer les prérogatives de la puissance publique française en matière d'état civil, est totalement impossible, et ce d'autant que ses marins sont toujours tous de sexe masculin ; mais la probabilité, pour faible qu'elle soit, ne saurait être entièrement écartée, selon les circonstances exceptionnelles qui peuvent se présenter en mer, qu'il s'agisse du cas où des naufragés seraient recueillis, où des cas où le navire serait éloigné des côtes par les éléments, ou de toute autre circonstance imaginable mais imprévisible ;

dès lors, le législateur français est autorisé, par le paragraphe 4 de l'article 48 du Traité CEE, à déroger au principe de la libre circulation des travailleurs dans le cas des capitaines et des seconds des navires marchands, quel que soit le tonnage des dits navires ; si la Charte de décembre 2000 reprend le principe de non-discrimination de l'article 48 du Traité, mais sans mentionner la dérogation du paragraphe 4, cette Charte entend expressément réaffirmer certains droits fondamentaux, résultant "notamment ... du Traité sur l'Union européenne et des traités communautaires... ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, et de la Cour européenne des droits de l'homme" ; la Charte n'a pas abrogé le Traité de Rome ni la jurisprudence évoquée plus haut, mais les a au contraire consacrés ; la solution déjà retenue par la Cour ne pourra qu'être réitérée, et le jugement confirmé quant à la déclaration de culpabilité ;

"alors, d'une part, que l'article 48, paragraphe 4, du Traité instituant la Communauté européenne (article 39, paragraphe 4, de la version consolidée du Traité) n'autorise un Etat membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine et de second des navires marchands ou de pêche battant son pavillon qu'à la condition que les prérogatives de puissance publique attribuées aux capitaines et aux seconds de ces navires soient effectivement exercées de façon habituelle et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités ; qu'en décidant que le législateur français peut déroger au principe de la libre circulation des travailleurs dans le cas des capitaines et des seconds des navires marchands, quel que soit le tonnage des dits navires, dès lors que la probabilité d'exercer les prérogatives de puissance publique qui leur ont été attribuées, pour faible qu'elle soit, ne saurait être entièrement écartée, selon les circonstances exceptionnelles qui peuvent se présenter en mer, et ainsi déclarer Elian X..., coupable de l'infraction prévue et réprimée par les articles 3, alinéa 2, du Code du travail maritime et 69 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, la cour d'appel a violé les articles précités et le principe de la liberté de circulation des travailleurs ;

"alors, d'autre part, qu'Elian X... a fait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées que si les juges estimaient qu'il subsistait une incertitude quant à l'interprétation de l'article 48, paragraphe 4, du Traité instituant la Communauté européenne (article 39, paragraphe 4, de la version consolidée du Traité), ils devaient surseoir à statuer et saisir la Cour de justice des communautés européennes, en application de l'article 177 du Traité CEE, aux fins qu'elle dise si l'exception prévue par les articles 3, alinéa 2, du Code du travail maritime et 69 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, qui réservent aux seuls ressortissants français l'emploi de capitaine et de second de navires battant pavillon français, de manière générale, et sans distinguer selon le type de navires et de voyages maritimes, et sans tenir compte de l'exercice effectif par ces derniers des prérogatives de puissance publique qui leur sont confiées, est réellement justifiée par des nécessités impérieuses tirées de la participation effective à l'exercice de la puissance publique et à des fonctions ayant pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat français, ou si au contraire, disproportionnée en raison de sa généralité, elle n'est pas contraire aux articles 48 du Traité CE et qu'elle dise si ladite exception peut être appliquée sans examen concret de la situation du navire concerné au regard desdites nécessités et si elle peut être appliquée à un navire de navigation côtière ; qu'en confirmant la déclaration de culpabilité d'Elian X... sans se prononcer sur sa demande de saisine de la Cour de justice des communautés européennes afin de lui poser une question préjudicielle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et l'a ainsi privé de toute base légale ;

"alors, enfin, qu'il y a lieu, en cas où naîtrait un doute sur la compatibilité entre les articles 3 du Code du travail maritime et 69 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, d'une part, et l'article 48, paragraphe 4, du Traité instituant la Communauté européenne (article 39, paragraphe 4, de la version consolidée du Traité), d'autre part, de soumettre à la Cour de justice des communautés européennes la question suivante : "l'article 48, paragraphe 4, du Traité instituant la Communauté européenne (article 39, paragraphe 4, de la version consolidée du Traité) doit-il être interprété en ce sens qu'il autorise un Etat membre à réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine et de second des navires marchands battant son pavillon pour tous types de navigation, même lorsque l'exercice par le capitaine ou le second de fonctions relevant de l'administration publique au sens de l'article 48, paragraphe 4, du Traité instituant la Communauté européenne (article 39, paragraphe 4, de la version consolidée du Traité) ne sont pas exercées de façon habituelle et représentent une part très réduite de leurs activités ?" ;

Vu l'article 39 du Traité instituant la Communauté européenne ;

Attendu que la dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs, prévue quant aux emplois dans l'administration publique par le paragraphe 4 du texte susvisé, suppose que les prérogatives de puissance publique attribuées à leurs titulaires soient effectivement exercées de façon habituelle par ceux-ci et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités ;

Attendu que, pour déclarer Elian X... coupable de navigation sans présence à bord d'un capitaine et d'un capitaine en second de nationalité française, l'arrêt attaqué relève que le législateur est autorisé par le paragraphe 4 de l'article 48 devenu le paragraphe 4 de l'article 39 du Traité à déroger au principe de la libre circulation des travailleurs, en raison des pouvoirs reconnus auxdits capitaines et seconds en matière d'état civil ; que les juges ajoutent que, pour faible qu'elle soit, la probabilité de l'exercice par ces officiers de prérogatives de puissance publique ne saurait être écartée, vu les circonstances exceptionnelles qui peuvent se présenter en mer ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte conventionnel susvisé et du principe susénoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 13 juin 2003 ;

Et attendu qu'il n'y a rien à juger ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Pelletier, Mme Ponroy, MM. Arnould, Corneloup conseillers de la chambre, M. Sassoust, Mme Caron, M. Lemoine conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

 

Publication : Bulletin criminel 2004 N° 169 p. 620
Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 2003-06-13
Titrages et résumés COMMUNAUTES EUROPEENNES - Libre circulation des travailleurs - Exclusion - Emplois dans l'administration publique - Notion - Capitaine et capitaine en second à bord d'un navire (non).

 

 

N° de pourvoi : 02-83647
Président : M. COTTE

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre juin deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de la société civile professionnelle COUTARD et MAYER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Elian,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 3 mai 2002, qui, notamment, pour navigation sans présence à bord d'un capitaine français, l'a condamné à 5 amendes de 1 000 euros chacune ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, 3 du Code du travail maritime, 69 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, 48, 3, c, du traité de la communauté européenne, 1er du règlement communautaire 1612/28 ;

"en ce que Elian X... a été déclaré coupable des faits à lui reprochés ;

"aux motifs que l'article 48 du traité, en effet, implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, mais prévoit, en son 4, une dérogation quant "aux emplois dans l'administration publique" ; que cette notion d'emploi dans l'administration s'entend aux termes de la jurisprudence de la CJCE, d'emplois qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ;

que les officiers de marine marchande détiennent, de façon générale, des prérogatives de puissance publique, puisque certains pouvoirs leur sont reconnus en matière d'état civil, actes de naissance, actes de décès, mariages, ainsi qu'en matière de réception de testaments ;

attendu dès lors, que le législateur français est autorisé, par le 4 de l'article 48 du traité CEE, à déroger au principe de la libre circulation des travailleurs dans le cas des capitaines ou seconds des navires marchands, quelque soit le tonnage des dits navires ;

"alors, d'une part, que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que la cour d'appel ne pouvait interpréter les termes conditionnant le sens et l'application d'une norme pénale française selon l'interprétation générale de ses termes reçue (dans un contexte extra-pénal d'ailleurs) "aux termes de la jurisprudence de la CJCE" ; qu'elle devait déterminer elle-même comment interpréter en faveur du prévenu la combinaison de textes qu'elle sanctionnait pénalement ;

"alors, d'autre part, que "tout ressortissant d'un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre" ;

qu'il n'en va autrement que pour les "emplois dans l'administration publique" ; que, dans l'interprétation in favorem dont devait faire usage la cour d'appel, un capitaine de vaisseau commercial ou son suppléant n'est en aucun cas "employé par l'administration publique" ; de sorte que Elian X... ne tombait pas sous le coup de cette interdiction de faire travailler un non français mais devait profiter du principe général de l'égalité de traitement pour les travailleurs européens migrants" ;

Attendu que, pour déclarer Elian X... coupable de navigation sans présence d'un capitaine ou d'un second français à bord, l'arrêt attaqué énonce que, si l'article 48 du Traité instituant la Communauté européenne implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, il prévoit, par ailleurs, en son paragraphe 4, une dérogation quant "aux emplois dans l'administration publique" ;

Que les juges ajoutent que cette dernière notion s'entend, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, "d'emplois qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat" ; qu'ils relèvent, en l'espèce, que les officiers de la marine marchande détiennent, de façon générale, des prérogatives de puissance publique, puisque certains pouvoirs leur sont reconnus en matière "d'état civil, actes de naissance, actes de décès, mariages" et "réception de testaments" ;

Qu'ils en concluent que le législateur français est autorisé à déroger, par le paragraphe 4 de l'article 48 du Traité, au principe de la libre circulation des travailleurs dans le cas des capitaines ou seconds des navires marchands, quel que soit leur tonnage ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que des prérogatives de puissance publique peuvent être exercées par les personnes concernées, la cour d'appel a justifié sa décision au regard du texte précité et de l'article 39 de la version consolidée du Traité instituant la Communauté européenne ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Farge, Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Corneloup conseillers de la chambre, Mme Caron, M. Lemoine conseillers référendaires ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle 2002-05-03


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